MA JEUNESSE TOURNUSIENNE
racontée par Marcelle Cantin
Mes parents étaient propriétaires d’un café-restaurant-hôtel à l’entrée sud de Tournus, là où se trouve maintenant l’hôtel des Terrasses. A cette époque le détournement de la N 6 n’existait pas, les camions passaient devant chez nous et les chauffeurs s’arrêtaient très souvent, soit pour manger, soit même parfois le samedi soir pour passer le week-end. Les rues avoisinantes étaient chaque jour encombrées par de gros camions avec des remorques, d’autant qu’il y avait aussi le restaurant la Pergola, où certains avaient leurs habitudes. La circulation n’était pas aisée : les gros poids lourds devaient tourner à angle droit au carrefour de la rue Tilsit et de la rue de l’Esplanade – heureusement qu’il y avait moins de voitures qu’aujourd’hui ! Je me souviens de clients fidèles, comme un chauffeur de la Samaritaine, qui venait de Paris et s’arrêtait régulièrement chez nous. Chaque jour, nous servions environ 60 couverts.
Le travail dans l’hôtel était très dur, car les chauffeurs partaient tôt le matin, et maman se levait à partir de 4h du matin pour les appeler et leur préparer le petit déjeuner. Comme elle avait bon appétit, elle cassait la croûte avec eux…
La féculerie étant proche de chez nous, les ouvriers s’arrêtaient parfois boire un coup à la sortie du travail. Certains même prenaient pension, ainsi que l’un des patrons, qui était célibataire. Les ouvriers des Pompes Noël, eux aussi, faisaient partie des clients.
Tous les dimanches après-midis, les joueurs de cartes se retrouvaient. C’est ainsi que j’ai appris à jouer, car il y avait souvent un joueur à remplacer. M. Brison jouait parfois avec moi, et l’enjeu, au lieu d’être « une tournée », était un paquet de bonbons… Chaque semaine, maman préparait quelque chose pour les joueurs : des gaufres, ou des tartines de fromage fort – qu’il n’était pas question de faire payer.
Le matin, Mme Clet passait livrer le lait avec sa charrette tirée par sa jument « Titine », à qui je donnais régulièrement un sucre. Un jour, Mme Clet m’a proposé de conduire la charrette. Quel bonheur ! Je n’étais pas peu fière ! Tous les jeudis, avec mon frère, nous allions chercher de la crème chez Mme Pont, au bois de Plottes – à pied bien sûr. Une fois, il avait tellement neigé que la neige passait par-dessus nos bottes. Nous sommes rentrés transis.
Le quartier était très animé. Nos plus proches voisins étaient les Bordesoul, qui avaient un garage et employaient plusieurs ouvriers. (ce qui explique la présence de la vieille pompe à essence près de l’Hôtel des Terrasses). Le frère de M. Bordesoul était maçon sur le quai. Il avait refait le carrelage de la salle de restaurant – on peut encore le voir, d’ailleurs. Après le garage se trouvait la maison de M. Guichard le plâtrier, puis l’atelier de M. Janiaud le maréchal-ferrant. Là où est maintenant le salon de Poupette se trouvait un appartement, qui jouxtait une épicerie, dans laquelle se sont succédé les Dourneau, les Berthod puis les Putin.
De l’autre côté de la rue il y avait les pompes Noël (à la place du Supermarché), puis la Pergola, qui s’agrandit peu à peu pour devenir une salle de danse – théâtre – cinéma. Je me rappelle très bien y avoir vu « mon curé chez les riches »… Je jouais beaucoup avec les filles Verpault, qui étaient mes copines. Après la Pergola suivaient le marchand de vin Bonvillain, puis la Charbonnière, puis la grosse maison qui fait l’angle de la rue Tilsit.
En 1936, des réfugiés Espagnols sont venus s’installer dans les dépendances des pompes Noël. D’après mes souvenirs, c’étaient surtout des femmes et des enfants (les hommes avaient dû rester au pays, puisque c’était l’époque de la guerre civile). Mes parents leur portaient souvent à manger.
Derrière chez nous, ainsi que derrière chez nos voisins, des jardins potagers occupaient une place importante. C’est à travers eux que la déviation de la N6 fut faite